Le matin, il me faut une bonne heure pour me réveiller.
Correction : pour sortir du coma. C’est une épreuve de tous les instants, et même préparer mon petit déjeuner me paraît insurmontable. Pendant ce temps là, je glande devant mon ordi en déplorant de ne pas être capable de faire autre chose, et jusqu’à il n’y a pas si longtemps, ça finissait en doom-scrolling sur Instagram. Évidemment, ça a fini par me saouler, parce que j’en ai marre de céder à cette mauvaise habitude dès que je me retrouve face à un moment de creux, alors j’ai tenté autre chose : je me suis mise au journaling.
Je suis convaincue que le journaling est une pratique qui aurait pu m’aider depuis des années, mais malheureusement, je n’avais jamais réussi à m’y mettre sérieusement jusqu’ici. Déjà petite, j’étais fan de carnets, en particulier des carnets dans lesquels on écrit ses plus grands secrets (j’en avais un magnifique avec une couverture représentant un cheval blanc, des pages pastel à l’intérieur, et un petit cadenas pour le fermer) ; en grandissant, j’ai tenté plusieurs fois, mais j’abandonnais toujours. J’ai laissé tomber l’idée mais elle est souvent revenue toquer à la porte de ma tête et ce n’est que récemment que je me suis dit « hey, tiens, tu devrais réessayer. Tu en as besoin ». J’ai donc profité de cet espace vide entre le coma et le mode de fonctionnement normal d’un être humain éveillé pour m’y mettre, en m’inspirant un peu des pages du matin de Julia Cameron (j’ai commencé son bouquin mais il m’est vite tombé des mains).
Parfois, je sais quoi raconter : j’essaie d’y déverser mes ruminations quotidiennes, les trucs que mon anxiété me chuchote à l’oreille, les difficultés de mon boulot et les solutions que j’y trouve, ce genre de choses. J’essais aussi un peu de démêler des questions plus existentielles du genre « qui suis-je, où vais-je, dans quelle étagère ? » (depuis un an ou deux je me passionne pour la question suivante : « pourquoi j’écris ? », et je n’ai pas encore trouvé de réponse satisfaisante). Parfois, je ne sais pas quoi raconter, alors je cherche des idées sur les internets. En ce moment, par exemple, je m’inspire de questions suggérées par le blog (endormi) d’Elizabeth Dhokia, une coach de vie qui parle souvent de journaling. Je suis tombée dessus par hasard en cherchant des idées, la liste m’a plu, voilà.
(à gauche : le journal en question. Le carnet bleu, quoi).
On fait quoi dans le multivers ?
Ce matin, j’ai été interpelée par ce qu’elle écrit dans sa bio : « je suis curieuse de savoir ce que signifie ‘vivre une belle vie' » (traduction à la zob de « I’m curious about what it means to live a good life » ). Et je me suis posé la même question.
Je me suis tournée vers mon expérience de pensée préférée : que se passe-t-il dans le multivers ?
(j’ai deux passions dans la vie : les histoires de boucle temporelle et les histoires de multivers, en particulier celles qui découlent de la théorie de Hugh Everett. Dans les années 1950, il a repris l’expérience du chat de Schrödinger et a cherché à démontrer que le chat n’existait pas en même temps dans deux états différents (mort et vivant), mais qu’il existait une version de lui vivante dans un univers et une version de lui morte dans un autre. Je résume à la louche mais vous pouvez en lire plus ici)
Je ne crois pas vraiment à l’existence du multivers, qu’on se le dise, mais c’est un sujet que je trouve passionnant et qui m’inspire (on en parle déjà d’une certaine manière dans le Grand Projet). Surtout, c’est une sorte de boussole qui me permet de prendre des décisions : dois-je faire cette chose qui est risquée/me fait peur ? Si je ne le fais pas, est-ce que je regretterais ? Les autres moi dans le multivers, celles qui n’ont pas fait cette chose, regrettent-elles ? En général, oui, elles regrettent, ce qui me décide à me lancer. C’est ainsi par exemple que j’arrive à trouver la détermination pour écrire encore et toujours mes livres et essayer d’en tirer un vrai revenu, parce que je sais que si j’arrête, je le regretterai.
Oh la belle vie
Mais c’est quoi une belle vie, alors ? Je me dis souvent que je ne voudrais pas être ailleurs que l’endroit où je me trouve. J’ai le meilleur chéri du monde, je fais le boulot de mes rêves, j’ai la chance de pouvoir l’exercer, j’ai le rythme de vie qui me convient, je n’ai pas à subir un métier ou une existence dont je ne veux pas. Oui, bien sûr, il y a des trucs à changer, des aspects pas très agréables que je peux contrôler et donc choisir d’améliorer, d’autres éléments hors de mon contrôle avec lesquels je dois composer (en particulier ce qui régit le monde, la politique, les guerres, les discriminations, tout ce que l’humanité est capable de faire de pire).
Mais une vie parfaite, est-ce que ça existe ? Même ailleurs, dans un autre univers ? Je n’en suis pas sûre. On a beau faire le boulot de nos rêves, avoir une famille équilibrée, vivre dans une utopie, il y aura toujours quelque chose pour noircir un peu le tableau. Pour autant, je me dis que je suis dans la meilleure configuration possible, avec tous les éléments décrits dans le paragraphe précédent, je suis une autrice qui a la chance de pouvoir écrire ses histoires, les partager avec des lectrices & lecteurs incroyables, et qui vit avec quelqu’un qui accepte tout ce que je vaux, ce que je suis, mes dons, mes défauts, et je ne veux pas autre chose.
Mais… Et si, ailleurs, je voulais autre chose ?
Et ailleurs
Et si je me trompais, et si en fait ce rêve de vivre de ma plume et d’écrire mes histoires n’était pas ce qui m’animait vraiment ? Et si je m’épanouissais plus en étant mère de famille nombreuse, patronne de start-up ou créatrice de bijoux ? Si j’avais commencé le journaling quand j’étais petite, où en serais-je aujourd’hui ? Serais-je plus épanouie ?
Dernièrement, j’ai regardé une chouette série sur Apple TV, qui s’intitule Dark Matter. Il s’agit d’une adaptation d’un roman de Blake Crouch (il s’est occupé lui-même de la transposition en série) ; de cet auteur, j’ai déjà lu le super Récursion, avec un sujet similaire, et j’ai reconnu sa patte dans Dark Matter. Le pitch est archi-simple : un mec qui vit sa vie se retrouve enlevé et expédié dans un monde parallèle, où il découvre qu’il a fait un choix totalement différent, et que ce choix l’a conduit à vivre une vie totalement différente.
C’est une série plutôt classique sur le sujet, dans le sens où elle ne révolutionne pas le genre. On est sur du classique » et si j’avais fait un autre choix, est-ce que ma vie serait meilleure ? », un thème commun aux multivers et aux boucles temporelles (ce qui explique pourquoi je les aime autant). Pour autant, Dark Matter le traite plutôt bien : il n’y a pas de vie meilleure qu’une autre. Il y a les choix et ce qu’on en fait. Surtout, il y a les choix et ce qu’ils nous font devenir.
Si on pouvait se rendre dans un univers parallèle pour explorer la vie qu’on aurait eu en faisant un autre choix, on se rendrait vite compte que cette vie ne nous conviendrait pas. Peut-être que oui, on regrette ce choix, et qu’on croit avoir une autre chance en se glissant dans cette autre existence qu’on a fantasmée, mais en réalité, on se glisse quand même dans la vie d’une autre personne.
C’est comme mettre un vêtement qui n’est pas à notre taille. On ne peut pas interchanger nos vies, même si celle du voisin paraît meilleure, parce qu’on n’est pas fait pour.
Ça me conforte toujours dans l’idée que « je vis ma meilleure vie », ce qui veut dire que ce n’est pas la meilleure de toutes, mais la meilleure pour moi, et les vies de mes autres moi sont les meilleures pour elles si elles l’ont décidé (si vous faites la même chose que moi aujourd’hui, les meufs, à savoir raconter vos divagations sur votre blog, bien le bonjour). À moi d’améliorer ce qui coince, au lieu de rêver à un autre univers et me demander ce qui se serait passé si j’avais commencé le journaling au début de mon adolescence.
Ps : évidemment, je raconte ça depuis ma position privilégiée de meuf cis blanche qui n’a pas à se battre pour payer son loyer. Je dirais probablement autre chose si je me trouvais dans une autre situation, et tout ce que j’écris ici ne se veut pas une leçon de vie ou je ne sais quoi.
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Bonjour,
Je trouve que ta façon de voir les choses est belle est créative. C’est une manière de reprendre le pouvoir sur notre propre existence, de replacer les choix que nous avons faits dans leur contexte (« prendre la meilleure décision avec les informations et les possibilités que l’on a à l’instant t » est selon moi la définition de « prendre une bonne décision »). De rester bienveillants envers nous-mêmes.
Cela évite aussi de se laisser trop embarquer par nos ruminations.
Un peu comme l’équivalent du mantra « est-ce que cette pensée sert à quelque chose, ou pas ? ».
Quand à Dark Matter, je ne peux qu’être d’accord avec toi. Elle est très bien construite, car contrairement à beaucoup de séries de SF, elle navigue à hauteur de personnages. Les enjeux sont des enjeux personnels, pas ceux du Multivers version Marvel.
Je t’encourage d’ailleurs à voir sur Apple TV+ également (une plateforme de streaming qui se démarque vraiment des autres) une série européenne qui traite finalement du même sujet mais très très différemment : Constellation, avec Noomi Rapace. Au menu : superposition quantique, réalités parallèles, télescopages et drames familiaux, tout pareil, mais avec une lecture totalement différente. Ça se complète bien.
Oui c’est exactement ça, prendre les bonnes décisions se fait en analysant les informations mais aussi en prenant en compte ce que l’on est, ce que l’on fait, et les possibilités qu’on a sur le moment. Une de mes lignes de conduite, c’est « on fait ce qu’on peut avec ce qu’on a », bien loin du classique « quand on veut, on peut », et c’est bien moins culpabilisant !
C’est vrai qu’avec Dark Matter, on est très loin du multivers de Marvel (que j’aime beaucoup aussi, pour son côté grandiloquant). J’ai également vu Constellation ! Je l’ai d’ailleurs visionnée juste après Dark Matter, et comme je ne savais pas qu’elle traitait le même sujet au moment où j’ai commencé, j’ai été agréablement surprise. Les deux se complètent très bien en effet (j’ai même préféré Constellation, mais parce que j’adore Noomi Rapace). De façon générale, les séries Apple TV sont toujours très bien faites, j’en ai vu quelques unes jusqu’ici et je n’ai pas été déçue !