La forêt d'Adria

Texte intégral

Maître Cornélius n’en croit pas ses yeux lorsqu’il découvre la carte, glissée entre les pages d’un manuscrit vieux de plusieurs siècles. Dans cette ancienne abbaye habitée par le calme, l’explorateur se retient de crier sa joie, de peur d’incommoder les sœurs. Ses mains tremblantes déplient le papier avec lenteur afin de ne pas le déchirer.

Quel hasard, quel caprice du destin ! Cornélius a passé sa vie à chercher des informations concrètes sur la mystérieuse forêt d’Adria, et n’en a récolté que des bribes, des rumeurs, des légendes. Personne n’a jamais pu le renseigner et, la mort dans l’âme, il a fini par l’oublier, la ranger dans un coin de son esprit, se promettant d’y revenir un jour tout en repoussant ce moment le plus loin possible. Ysabeth aurait été heureuse pour lui. Mais elle n’est plus là pour savourer la victoire de son époux, son grand âge ne lui ayant pas permis de rester plus longtemps à ses côtés. En cet instant, Cornélius ne peut s’empêcher de penser à elle : le voyage qu’il va entreprendre lui sera dédié.

Car il ne fait aucun doute que Maître Cornélius, le plus célèbre des explorateurs de Mahera, partira au bout du monde pour Adria. Malgré ses soixante-douze ans et un début d’arthrite, il ne peut se soustraire à ce signe du destin qu’il attend depuis si longtemps. Il ne peut pas finir sa vie sans contempler la forêt de ses propres yeux.

 

Mahera est le nom donné à la fédération de nations réunies sous une même bannière, celle des Quinze. Peuplé de gens curieux et imaginatifs, on l’appelle le Royaume des Inventeurs : la plupart des innovations technologiques de ces derniers siècles sont de leurs faits. Les avancées en matière de médecine, de climat, de transports se sont avérées considérables au fil des décennies, jusqu’à la découverte capitale, il y a cinquante ans, qui a bouleversé le Royaume tout entier et l’a fait trembler sur ses fondations.

On a désigné cela sous le nom de Théorème d’Isarius : le plus grand scientifique de la fédération a démontré l’existence d’une force magique circulant partout sur la planète, l’orbe, dont la réalité n’était que supposée. Depuis, elle fait office de source d’énergie, une ressource naturelle et inoffensive qui les a sortis de l’âge des ténèbres. Cette époque glorieuse a vu naître une multitude de machines améliorant le quotidien des Maherans, puis des habitants des pays voisins. Isarius, quant à lui, s’est retiré de la vie publique pour poursuivre ses recherches. Plus personne ne l’a revu depuis lors.

À la même époque, Cornélius entendait parler de la forêt d’Adria pour la première fois pendant un voyage en terres hivernales. Lors d’une halte dans une auberge, il a surpris une conversation : la logeuse et l’un de ses clients devisaient de la découverte récente d’Isarius, jusqu’à ce que la vieille dame mentionne l’existence d’une forêt légendaire et dangereuse peuplée de créatures hors du commun. Cornélius et Ysabeth s’étaient joints à la discussion, curieux, sans se rendre compte qu’ils tombaient déjà sous le charme de cette forêt. Et le soir, après être remontés dans leur chambre sous les toits, ils ont décidé de traquer Adria afin de l’explorer un jour.

Malheureusement, ils n’ont jamais trouvé l’emplacement d’Adria : seule une poignée d’individus en connaissent l’existence, et aucun d’entre eux n’a pu la situer sur une carte avec précision. En réalité, il est très vite apparu que personne n’en est jamais revenu.

Cornélius l’a malgré tout cherchée durant des années. Ce faisant, sa renommée d’explorateur a grandi, tant qu’on parlait de lui dans les livres et dans les journaux. Il a mis au jour de lointaines contrées, des déserts de sable rouge, des mers glacées, des lacs souterrains. Il arrivait qu’Ysabeth le suive mais, au fil des ans, sa santé se faisait plus fragile, et elle a dû alors rester chez eux, dans leur petite maison près de la mer. Elle est morte de sa belle mort peu de temps après sa retraite, faisant promettre à Cornélius de poursuivre ses recherches, de ne pas abandonner.

Il s’est accordé une pause qui a duré des mois, s’enfermant chez lui, tournant en rond, fumant à outrance. La disparition de sa femme lui était intolérable. Mais ce n’était rien à côté du serment qu’elle lui avait arraché, car il savait qu’il ne pourrait pas la tenir. Quatre ans plus tard, après un dernier voyage remarqué sur une île perdue, il a pris la décision d’arrêter de courir à travers le monde et de se consacrer à la rédaction de livres.

 

Sa découverte dans le Couvent des sœurs du Silence a tout changé.

Un ami lui a parlé de l’incroyable bibliothèque des sœurs scribes, arguant qu’il lui fallait à tout prix consulter leurs innombrables manuscrits. Cornélius ne s’est pas fait prier : l’ouvrage sur lequel il travaille nécessite des références anciennes qu’il était sûr de dénicher dans la collection du Couvent. Quelle surprise, alors, quand il déplie le parchemin vieilli oublié dans le livre… Une carte tracée à la main, couverte d’annotations, au titre enluminé sans équivoque : « La forêt d’Adria ».

Son cœur manque un battement, le rouge lui monte aux joues. Il réprime un cri de joie, puis se force à recouvrer son calme ; la religieuse la plus proche lui jette des coups d’œil désapprobateurs. La règle la plus importante à observer pour pénétrer dans les archives du Couvent est de respecter la quiétude des lieux, et Cornélius ne peut y contrevenir sous peine de se voir expédier dehors manu militari. La réputation sévère des sœurs du Silence n’est plus à faire.

Il ne peut emporter le livre ni la carte, si bien qu’il recopie avec application cette dernière dans son carnet. Tout y est : le pays, les coordonnées exactes de la forêt, une description détaillée du village le plus proche… De nombreux avertissements, aussi, précisant que cette carte n’est reproduite qu’à titre informatif, et que les curieux risquent de perdre la vie en entrant dans les bois.

Ce que Cornélius, il le sait déjà, ne prendra pas en compte.

 

Il se hâte de rentrer chez lui pour préparer son expédition. Il remplit son sac de voyage de quelques vêtements, de vivres et d’outils de survie, entreprend de nettoyer et régler son appareil photo, une antique machine améliorée grâce à l’orbe et aux connaissances de son ami Isarius. Cet engin capable de capturer des images du visible et de l’invisible était le plus grand compagnon de Cornélius, et a fait sa renommée : les tirages originaux des photographies se vendent aujourd’hui à prix d’or. Le vieil homme appelle ensuite la compagnie postale des Zeppelins afin de réserver une place sur un prochain vol. Son considérable carnet d’adresses lui permet de demander toute sorte de services, qu’on lui rend avec le sourire en échange d’une bonne bouteille.

Enfin, Cornélius met ses papiers en ordre, dans le cas où il ne reviendrait pas de son voyage. Il quitte sa petite maison deux jours plus tard ; tout est rangé à sa place, et le journal contenant son testament est posé bien en vue sur son bureau. Sa fortune et sa demeure feront le bonheur de sa jeune nièce, la dernière survivante de sa famille, et il destine ses livres, ses appareils et ses découvertes au gouvernement de Mahera.

Une fois sur le Zeppelin, le calme qui l’habite surprend le capitaine du dirigeable. D’ordinaire, l’on ne peut arrêter Cornélius de parler, mais pas cette fois. Il fixe l’horizon dans l’attente de distinguer les arbres de la forêt d’Adria, avec une impatience croissante, et une grande paix intérieure.

 

Lorsque le Zeppelin se pose dans la ville la plus proche de sa destination, Cornélius salue avec gravité le capitaine et ses subordonnés. Il n’est pas sûr de les revoir un jour.

Dans les journaux, les gros titres font état du « dernier voyage du grand Maître », mais aucun n’évoque l’éventualité d’un décès. Pour le vieil homme, l’avenir s’arrête à la lisière de la forêt ; il lui est impossible de s’imaginer revenir. Pourquoi ressortirait-il d’Adria alors que des centaines de malheureux y ont été pris au piège ?

Une semaine solitaire l’attend, faite de longues journées de marche sous le ciel capricieux de la contrée. Cornélius croise peu de monde et dort chez l’habitant, découvrant ainsi la générosité des résidents de cette province qu’il ne connaissait pas. Lorsqu’il les interroge sur la forêt, ils se montrent plutôt volubiles. Ils rapportent des histoires qu’ils tiennent d’un voisin, d’un grand-oncle ou d’un cousin, qui les tiennent eux aussi de quelqu’un d’autre. Rien de vérifiable, mais l’explorateur note tout sur son calepin, même les rumeurs les plus loufoques.

Il ne leur révèle pas qu’il espère à son tour découvrir Adria, de peur d’attiser l’inquiétude, de plus en plus palpable. Plus il approche de la lisière de la forêt et plus les villageois rencontrés sur sa route se ferment. Les fées inspirent toujours une terreur sourde dans ces contrées reculées, et Cornélius craint leur refus de lui venir en aide, et même leur colère.

Enfin, il atteint le hameau indiqué sur sa carte, dans l’après-midi d’un jour ensoleillé. Le vieil homme décide de ne pas s’arrêter, préférant poursuivre son chemin ; la forêt l’attend quelques kilomètres plus loin.

Cornélius doit se retenir de courir. Son état d’excitation est tel qu’il ne ressent plus les courbatures dans ses jambes. Toutes ses pensées se tournent vers Ysabeth. Si seulement elle pouvait le voir de là où elle se trouve… Le nom de son épouse résonne dans son esprit tel un mantra répété sans fin, une prière pour accélérer le temps. Lorsqu’il aperçoit les premiers arbres, il croit que son cœur va lâcher.

L’explorateur s’immobilise à l’entrée du bois. Il admire les troncs élancés, le vert profond du feuillage. Même la couleur de l’herbe sous ses pieds semble irradier, presque vivante. Une étrange vibration se fait sentir cependant, désagréable et insidieuse, que Cornélius ressent dans son oreille interne. Une sensation qu’il interprète comme une mise en garde : la forêt ne l’acceptera pas en son sein, et tente sans doute de le dissuader d’entrer.

Le vieil homme jette un regard derrière lui, suivant les toits, les chaumières tranquilles et les collines verdoyantes. Impossible de reculer à présent, ce qu’il n’avait jamais envisagé. Il ne peut pas faire demi-tour pour retrouver sa maison déjà abandonnée et l’enveloppe contenant son testament, faire comme si de rien n’était. Le voyage de sa vie s’arrête là, et sûrement sa vie tout court.

Cornélius inspire à fond avant d’entrer, de passer à travers les arbres d’Adria, et tant pis pour la vibration plus forte, comme si elle allait rompre ses tympans. Une fois de l’autre côté, il prend de nouveau quelques minutes afin d’observer les alentours, s’imprégner des lieux, et constater l’incroyable calme qui y règne.

La forêt tient ses promesses, foisonnante, mystérieuse, baignée d’une lumière irréelle ; chaque arbre, chaque plante semble diffuser sa propre lueur, et, étrange certitude venant à l’esprit de Cornélius, chanter sa propre mélodie. Il ne l’entend pas, mais le devine : la végétation parle. Des voix muettes s’élèvent entre les branches, et peut-être faut-il être une fée pour les percevoir. Le vieil homme sort de son sac un boîtier noir, jumeau de l’appareil photo, capable de capter des sons de toute sorte. Il espère enregistrer le chant des arbres pour l’écouter plus tard, le soir même.

Il s’éloigne ensuite. Au fur et à mesure, ses yeux s’habituent à la végétation luxuriante. Il voit, parmi les troncs, des formes de corps, le plus souvent de femmes, la courbe d’un sein ou d’une jambe, mais pas de visage. Cornélius prend quelques photographies de ces arbres singuliers, escomptant capter les contours de ces dryades. Il lui semble même distinguer des mouvements, lents, gracieux, dans les branches. Le cliquetis de l’appareil importune sans doute ces créatures.

Rester prudent, le plus discret possible. Si Cornélius sait, au fond de lui, qu’il ne ressortira jamais vivant de la forêt, il espère toutefois aller plus loin. Il range ensuite ses boîtiers dans son sac et poursuit sa route.

Il réalise soudain quelque chose qui lui avait échappé au premier abord : les plantes et les arbres possèdent des caractéristiques exceptionnelles et impossibles. Devant lui se dresse le tronc majestueux d’un chêne arborant un feuillage de bouleau. Il repère d’autres hybrides, mélanges d’olivier et de sapin, de prunellier et de frêne, et tant d’autres encore. La nature a opéré un joyeux chaos, se permettant toutes les fantaisies. Même les fougères cachent entre leurs feuilles des baies proches des framboises. Des pommes poussent sur des branches de cerisiers. Cornélius se demande si les fruits sont comestibles, mais il se garde bien d’en cueillir un. La forêt se défendra sûrement.

Jetant un coup d’œil à sa montre à gousset, le vieil homme constate qu’elle ne lui sera plus d’aucune utilité : les aiguilles semblent folles, tournent à l’envers, à un rythme irrégulier, comme si le temps n’avait plus cours. Maître Isarius l’avait démontré dans son Théorème : l’orbe dérègle les lois de la physique, ce qui signifie qu’Adria regorge de magie.

Soudain, Cornélius ressent une présence près de lui, une autre présence, différente de celles des arbres.

Derrière lui se tient une jeune femme pas tout à fait humaine, aux immenses yeux violets. Ses longs cheveux sont faits de plumes et, dans son sillage, une nuée de papillons de nuit la suit à chacun de ses mouvements. Elle fixe l’explorateur d’un air étrange, entre la curiosité et le courroux d’un paon dérangé.

Cornélius s’approche avec lenteur, tendant la main vers la fée qui n’esquisse aucun geste. Autour d’elle, les arbres semblent retenir leur souffle… Elle n’a pas peur, et l’explorateur non plus.

Une voix résonne alors dans sa propre tête, diffuse, juste un chuchotement. Une multitude de timbres différents lui parvient, des centaines ou des milliers, parlant toutes en même temps sur le même ton un peu détaché.

La voix de la forêt tout entière s’adresse à lui à travers la fée, sans hostilité.

— Nous sommes Adria, dit-elle. Nous sommes Adria. Tu es un étranger. Tu es mortel.

L’écho se répercute à l’infini, produisant une incroyable musique silencieuse que Cornélius perçoit à peine. Il ignore s’il doit répondre à la créature aux yeux violets face à lui, à la forêt, ou ne rien dire. Dans le doute, il se tourne vers la fée, cherchant à raffermir sa voix :

— Je m’appelle Cornélius. Je suis un voyageur. Je ne vous veux aucun mal, je veux juste visiter la forêt.

— Tu es Cornélius. Nous sommes Adria.

— Adria, c’est votre nom ?

— Nous sommes Adria. Adria est notre nom. Nous sommes un.

— Vous ne formez qu’un avec la forêt ?

— Nous sommes la forêt. Nous sommes Adria.

Bien qu’elle ne mène à rien, Cornélius est heureux de cette première conversation. Il apprend ainsi comment la forêt communique : elle semble reliée par un même réseau, par lequel chaque végétal et chaque créature s’exprime en une seule conscience. Le vieil homme se retient d’attraper son carnet dans sa poche pour noter ses réflexions, craignant d’effrayer son interlocutrice. Il ne souhaite pas que ses gestes soient mal interprétés.

— Adria ne tolère pas les machines humaines, poursuit la fée. Si tu veux continuer, tu dois laisser tes machines. Tu dois sortir tes machines d’Adria.

L’explorateur soupire. Voilà qu’il va devoir abandonner ses outils de travail… À contrecœur, il ôte son sac et le dépose à l’orée de la forêt, avec ses deux boîtiers, bien en vue. Un villageois les trouvera peut-être un jour, et les rapportera au gouvernement de Mahera.

De retour dans le bois, Cornélius découvre que la fée l’attend. Elle continue de le fixer de son insondable regard.

— Le soir tombe sur Adria, dit-elle. Adria doit se mettre en sommeil. Reste ici. Ne bouge pas. Nous veillerons sur toi.

Le vieil homme n’a pas le temps de répondre, car les voix, les murmures dans son esprit, se taisent. Il n’avait pas vu le soleil décliner à travers le feuillage des arbres. Et s’il poursuivait son exploration quand même ?

« Ne bouge pas », a conseillé la forêt. Il serait sans doute suicidaire de désobéir.

Cornélius cherche un coin pour s’étendre, même s’il ne ressent pas encore la fatigue. Ses pensées filent à toute vitesse dans sa tête et, chaque seconde, le visage d’Ysabeth se superpose au reste. Il aurait tout donné pour qu’elle soit là, avec lui, pour qu’elle voie la beauté de la créature diaphane aux cheveux de plumes qui marche vers lui à pas de loup.

Elle s’assied à ses côtés, les genoux relevés sous son menton. D’aussi près, Cornélius peut observer les reflets dans ses yeux, et le grain de sa peau, proche du velours. Elle s’adresse alors à lui, toujours par le biais de son esprit mais de sa propre voix, bien plus douce :

— Tu es un voyageur. Que viens-tu faire à Adria ?

— Je voulais la voir de mes propres yeux. Comment t’appelles-tu ?

— Je n’ai pas de nom. Je suis Adria. Nous sommes tous Adria.

— Je peux te donner un nom ? Je peux t’appeler… Iris ? Tu ressembles à une fleur d’iris, tes yeux en possèdent la couleur.

— Iris. Iris est mon nom.

Un silence. Puis Cornélius demande :

— Adria ne t’en voudra pas d’avoir un nom ?

— Adria n’en veut à personne. Nous vivons. C’est tout. Je peux avoir un nom. Mais nous sommes Adria.

— D’où vient ce nom, « Adria » ?

— Adria est là depuis toujours. Je ne sais pas.

— D’accord.

Le vieil homme remarque soudain qu’autour de lui, les arbres à forme humaine se sont immobilisés, et que ce qui semble être leur tête s’est tourné vers le ciel. À travers le feuillage apparaissent des morceaux de voûte céleste.

– Qu’observent-ils ? interroge Cornélius.

— L’étoile. Il y a une étoile, là-haut. Elle est noire, elle brille d’une lumière noire. Les mortels ne peuvent la voir. Nous la voyons. La nuit, elle brille pour nous.

— Et toi, tu ne la regardes pas ?

— Je suis là pour toi, cette nuit. Je la regarderai demain. Cette nuit, je suis là pour toi.

Touché par cette déclaration, Cornélius sourit. Il regrette cependant de ne pas avoir conservé son calepin afin de noter les révélations d’Iris, car cette étrange étoile noire l’intrigue. Puis il se ressaisit et se force à chasser ses réflexes d’antan, ses habitudes de scientifique. Il n’a plus besoin de tout analyser à présent.

Une feuille se détache d’un arbre au-dessus de lui, et tombe à ses pieds avec lenteur. Le vieil homme s’en empare, curieux : ses nervures forment un réseau fascinant de volutes et d’arabesques, brillant d’un éclat de pierre précieuse. Iris observe son manège quelques secondes avant de poser ses doigts sur la feuille, qui s’évanouit dans les airs.

— Un mortel est venu, un jour, dit-elle de son étrange voix désincarnée. Il espérait offrir un bijou à sa fiancée. Il a cueilli une fleur d’Adria pour la transformer en joyau, la sertir sur un anneau. La forêt l’a fait prisonnier. Il s’est changé en arbre.

— Pourquoi ?

— Les mortels n’ont pas le droit d’emporter ce qu’ils trouvent dans la forêt. C’est dangereux. Le Roi ne l’a pas permis.

— Le Roi ?

— Il vit dans la forêt. Il décide du sort des mortels.

Il y a donc une sorte de monarchie. Existe-t-il une Reine, aussi ? Cornélius se garde cependant de poser la question. S’il veut la rencontrer, il devra la trouver lui-même.

Il finit par s’endormir sans s’en rendre compte, plongé dans un sommeil sans rêves. Le lendemain matin, alors que le soleil brille bien haut, Cornélius découvre qu’Iris n’a pas bougé. Elle attendait avec patience qu’il ouvre les yeux.

Le vieil homme se sent étourdi, comme si on l’avait anesthésié. Et si la forêt l’avait forcé à s’endormir ?

— Je dois partir, annonce la fée. Le jour est levé.

— Et si je me perds ?

— Adria ne peut rien pour toi. Nous ne sommes pas des guides.

À ces mots, Iris s’éloigne et s’enfonce entre les arbres. Cornélius se retrouve seul. Il constate alors que le passage par lequel il est entré a disparu derrière une myriade de troncs. Adria ne lui permettra pas de s’échapper.

Il se lève à son tour, et poursuit son chemin. Au loin, des cris d’oiseaux retentissent, des cris étranges qu’il n’a jamais entendus. Cela le fait frissonner.

Cornélius s’enfonce davantage dans les bois, découvrant leur flore hybride indifférente aux saisons. À ses pieds poussent des fleurs aux pétales de givre, brillantes comme du verre au milieu des brins d’herbe. Il n’ose y toucher, craignant que le froid dégagé par ses fleurs ne le brûle. Ses réflexes d’explorateur lui ont appris à ne pas se montrer trop curieux sous peine de le payer, et ces fleurs de glace ne lui inspirent pas confiance. Plus loin, de magnifiques érables semblent porter dans leur ramure les quatre saisons à la fois, mélange de feuilles bien vertes de l’été, rouges de l’automne, et même de branches nues de l’hiver. De la sève coule de leur écorce, à côté de la neige. Une biche blanche aux yeux bleus croise sa route, filant à une vitesse surnaturelle à travers les fourrés.

Le vieil homme a la sensation d’entendre le ressac de la mer, parfois, le chant des vagues s’écrasant au loin sur des rochers. Or, il n’y a aucune trace de côte dans la région, ni sur la carte ni dans le paysage. Il poursuit son chemin avec la certitude qu’il ne pourra pas faire demi-tour s’il s’engage trop loin.

Cornélius songe aux savants de Mahera, qui se damneraient pour se trouver à sa place. Il imagine une nuée de scientifiques étudiant chaque fleur, chaque fruit, étiquetant des échantillons, souillant la forêt de leurs mains de mortels afin de l’analyser. Il regrette un instant d’avoir abandonné son sac, la veille. Il ne reste plus qu’à espérer que personne ne le remarque, ou que les racines du bois l’aient englouti sous terre.

Au détour d’un bosquet, Cornélius tombe sur une petite clairière tapissée de neige. L’hiver a pris possession de cette partie de la forêt, et de lourds flocons virevoltent sans bruit dans l’air gelé, sous un ciel noir de nuages. Encore une curiosité liée à l’orbe… La magie dérègle le temps, l’espace, et le climat.

Au milieu de la clairière, de majestueux oliviers étendent leurs branches couvertes de stalactites autour d’eux. Puis un éclat attire l’attention de l’explorateur : une incroyable sculpture de glace trône au centre exact de la trouée, une jeune femme vêtue d’une longue robe, les mains posées sur sa poitrine dans une posture de prière. La statue est si réaliste, tellement vivante, que Cornélius s’imagine se tenir face à une véritable personne gelée sur place. Il se promène autour d’elle pour en observer les moindres détails : les broderies de la robe, chaque cheveu, chaque cil… Au pied de la sculpture poussent des hortensias bleus et mauves, indifférents au froid, dans lesquels se cachent des mésanges rouges.

– T’es-tu perdu ? demande soudain une voix d’une grande douceur.

Derrière Cornélius s’avance une créature ressemblant comme deux gouttes d’eau à la statue : son visage, ses cheveux et sa robe sont exactement les mêmes, tous d’un blanc laiteux. Le vieil homme se fige, aux aguets, préférant se méfier de cette dame des glaces au sourire pourtant sincère.

— Je ne sais pas si je puis affirmer que je suis perdu, répond-il.

— Tu ne devrais pas t’attarder ici, il y a des périls que tu ne soupçonnes même pas. Le froid est dangereux. Va-t’en.

— Dis-moi, avant : cette statue, est-ce toi ?

— Ce n’est pas moi.

— Qui, alors ? Est-ce Adria ?

— Adria a été créée par une mortelle il y a tant d’années que nous ne pouvons les compter. Cette œuvre représente la magicienne qui a rêvé d’Adria.

Surpris, Cornélius garde le silence, cherchant ses mots. Une femme aurait créé la forêt ?

— Qui était-elle ?

— Elle a façonné Adria. Elle vivait en hiver, et voulait faire renaître le printemps. Alors elle a planté une graine en terre.

— Et cette mortelle vit encore ici ? Cette sculpture…

— La sculpture n’est qu’un écho, un souvenir des arbres qui l’ont connue. Observe autour de toi.

Cornélius s’exécute, portant son regard sur la clairière, reconnaissant les arbres les plus anciens. Sur leurs troncs, dans le gel qui les recouvre, des faces de vieillard se devinent à peine, et leurs bouches s’ouvrent et se ferment avec lenteur.

Ils chantent. Des arbres-chanteurs…

Fasciné, l’explorateur ne remarque pas le changement s’opérer chez la dame des neiges. Les yeux de la créature perdent toute couleur, deviennent des perles blanches dénuées de toute émotion, et son visage pâlit plus encore. Lorsqu’il se tourne vers elle, le vieil homme prend peur et recule d’un pas.

— Je t’avais prévenu, étranger, méfie-toi du froid, gronde-t-elle d’une voix qui n’a plus rien d’humain. Le froid est mortel, et tu finiras comme tous les impudents qui se sont attardés en ces lieux.

Elle lève une main aux griffes acérées, de véritables serres d’oiseau de proie. Cornélius se sauve alors, et court à travers la clairière pour lui échapper. Le froid qui émane de la créature pourrait le tuer s’il ne se dépêche pas. Le vieil homme a toutes les peines du monde à s’extirper de la couche de neige épaisse ; ses articulations douloureuses lui rappellent son âge avancé. Mais il serre les dents et poursuit son chemin aussi vite que possible.

L’esprit des glaces disparaît dans un courant d’air lorsqu’il rejoint les arbres. Le vent polaire fait demi-tour. Épuisé, Cornélius se laisse tomber au sol afin de reprendre son souffle. Il éponge son front couvert de sueur, et attend de longues minutes que son cœur malmené se calme enfin.

Le silence s’abat sur la forêt. De toute évidence, la dame des neiges revêt l’apparence de la statue pour attirer les mortels dans son piège. Elle n’accorde aucune chance aux étrangers… Cornélius frissonne en s’imaginant transformé à son tour en bloc de glace. Il regrette vivement l’absence d’Iris à ses côtés, elle lui aurait sans doute déconseillé d’entrer dans la clairière. L’explorateur ferme alors les yeux et tente de l’invoquer, de toutes ses forces, car il ne peut se permettre de crier pour l’appeler. Mais elle ne vient pas.

Il met longtemps avant de récupérer de sa course folle contre l’hiver. Entre-temps, il réfléchit à l’itinéraire qu’il devra ensuite emprunter, et se résout à partir à la recherche du Roi ou de la Reine. Il rattache les lacets de ses chaussures avant de se lever, puis se met en route dans la direction de ce qu’il devine être le centre de la forêt.

Des heures durant, Cornélius marche sans réel but, suivant une esquisse de chemin, contournant les arbres trop colorés, apprenant à reconnaître le chant des oiseaux. Il croise des hérons bien plus grands que d’ordinaire, au magnifique plumage doré, et même des paons blancs qui traînent derrière eux un amas de toile d’araignée. L’explorateur tente d’épingler ces images dans son esprit, de photographier ce qu’il voit, sans toutefois croire qu’il y parviendra.

Un essaim de papillons passe devant lui, comme un nuage vivant : des papillons monarques aux ailes d’un rouge flamboyant, des centaines de milliers à la recherche d’un endroit où se poser. Cornélius les suit quelques minutes jusqu’à ce qu’ils jettent leur dévolu sur un arbre. Les insectes recouvrent tout, la moindre feuille, la moindre branche. Cette partie de la forêt a échangé ses couleurs d’émeraude pour l’écarlate du sang, donnant à l’ensemble une atmosphère presque sinistre. Le vieil homme remarque alors une silhouette dans cet amas mouvant ; des yeux entièrement rouges fixés sur lui, puis un visage d’un blanc de craie. Encore une fée, fée-papillon, la mère des monarques ensanglantés. Elle attire Cornélius tel un aimant, une flamme. Sur ses longues ailes poudrées s’étalent des centaines de nuances, qu’un peintre n’aurait jamais pu imiter.

Et si cette créature était la Reine d’Adria ?

Cornélius considère un instant cette pensée, avant de l’écarter : la fée semble ne se préoccuper que de ses millions d’enfants. Derrière elle, un cocon gigantesque s’étend entre les arbres. Un nid. Un garde-manger. Des membres humains emmêlés dans ses fils soyeux, des restes de malheureux mortels égarés. Le vieil homme décide alors de prendre la fuite pour ne pas servir de repas à son tour.

Il arpente ainsi ce qui lui paraît être des kilomètres. La forêt lui semble sans fin. Après des heures de marche, il parvient au pied du tronc d’un arbre colossal, bien plus grand que les séquoias géants dont il avait vu des photos un jour. L’essence de l’arbre lui est inconnue, entre le chêne et le peuplier, bien qu’il est impossible d’identifier ses feuilles ou son écorce. Ce monstre l’impressionne, mais pas seulement en raison de sa taille : il émane de lui une aura de respect et de noirceur à en donner la chair de poule. Soudain, Cornélius réalise qu’il se trouve devant le Roi d’Adria.

Il ne comprend pas vraiment comment cette idée s’impose à lui, mais il ne peut en être autrement : le Roi est un arbre. Il est si grand que ses racines doivent s’étendre sur des kilomètres sous terre, tissant ainsi un réseau avec la végétation de la forêt. Adria n’est autre que la somme des espèces qui la peuplent, elle forme avec le Roi une véritable conscience.

L’épuisement gagne Cornélius. Il prend appui sur un arbre près de lui, qu’il sent bouger sous son poids. Le mouvement est agréable ; le vieil homme songe qu’il se serait bien endormi là, pour toujours, emporté par le bois, son âme absorbée par l’écorce pour atteindre les feuilles, pour toucher le ciel. Endormi, affaibli, il voit à peine les branches l’entourer en une étreinte mortelle.

Son esprit, alors, se rebiffe, et le sort de son état léthargique. Cornélius repousse les branches, luttant afin de s’en libérer. Ce dernier sursaut de conscience lui donne la force nécessaire pour s’en dégager mais, une fois libre, le noir s’abat sur lui. Il s’évanouit et s’effondre dans l’herbe.

 

Lorsque le vieil homme revient à lui, la nuit est déjà tombée. Il comprend qu’il est resté sans connaissance durant de longues heures, à la merci des créatures rôdant dans les ténèbres, et se lève d’un bond. Mais il est seul, il n’y a rien autour de lui. Rien à part Iris, qui le fixe avec curiosité. Elle s’agenouille à côté de lui.

— Tu as trouvé le Roi, murmure-t-elle. Il n’a pas encore décidé de ton sort.

Cornélius se redresse.

– Quel sort m’attend, selon toi ? demande-t-il. Vais-je mourir ici ?

— Qu’est-ce que « mourir » ?

— La mort, c’est la fin. Si le Roi veut me tuer, je ne vivrai plus. Tu ignores ce qu’est la mort ?

— Lorsque les arbres s’endorment, ils laissent s’échapper des graines, emportées par le vent, et les graines donnent naissance à d’autres arbres. La vie des arbres est éternelle. Il n’y a pas de mort.

— Mais… Tu as bien dit que j’étais un mortel, non ?

— Je ne sais pas ce que cela signifie. Adria dit que vous êtes mortels, c’est le nom qu’elle vous donne. Nous sommes Adria, nous répétons ce que dit la forêt. Elle dit que vous vous éteignez, un jour, sans laisser de trace.

— C’est bien ce qui se passe, oui.

Le vieil homme s’étire. La présence d’Iris à ses côtés le rassure, car elle ne lui veut pas de mal.

— Elle est là, dit soudain la fée.

Cornélius n’a pas le temps de l’interroger : une silhouette frêle, sortie de nulle part, s’approche d’eux sans un bruit. Elle est entièrement nue, les pieds couverts de boue, et ses yeux vert d’eau brillent d’une lueur fascinante. Ses cheveux sont emmêlés dans les branches d’une couronne de prunellier hérissée d’épines.

L’explorateur n’ose bouger face à cette créature diaphane à l’aura si écrasante.

— C’est la Reine, souffle Iris. Le Roi l’a appelée.

— Que veut-elle ?

Iris parle alors à la place de la Reine, qui ne prononce pas un mot :

— Elle dit que tu es un étranger ici, et que tu ne dois pas continuer à souiller la forêt. Elle dit qu’elle a peur des humains comme toi.

— S’il te plaît, Iris, explique-lui, dis-lui que je ne veux pas faire de mal à la forêt, dis-lui que…

— Elle t’entend, coupe la fée.

Cornélius soupire, soudain épuisé. Il se tourne ensuite vers la Reine :

— Vous devez me croire. Votre forêt est une véritable merveille, je souhaite juste la découvrir.

— Elle dit qu’elle ne sait pas ce que cela signifie. Adria ne comprend pas la notion de beauté, nous n’existons pas pour attirer les curieux. Nous vivons. Nous devons vivre. Si nous disparaissons, le monde disparaît.

— Le monde ?

Le vieil homme se fige, stupéfait. L’étrange regard d’Iris est posé sur lui, à la fois serein et inquiet.

Inquiet pour elle, réalise-t-il. Pour elle et pour les bois. Il représente une menace.

— Un jour, poursuit-elle, un homme comme toi est venu. Il cherchait la magie, a-t-il prétendu. Ce sont ses mots. Pour lui, Adria était à l’origine de la magie circulant sur la planète. Mais il est parvenu à quitter la forêt alors qu’il n’en avait pas le droit, et il a volé la magie pour l’utiliser dans des machines. Il a rompu l’équilibre.

Cornélius devine sans peine l’identité de cet homme. Un explorateur, comme lui, ou bien… un scientifique.

Isarius est le seul être humain à avoir pu rentrer chez lui après son voyage dans la forêt. Il n’en a que rarement parlé – une expédition lointaine, un jour, juste avant la publication de son Théorème, sans jamais mentionner sa destination. En repartant, il a provoqué la colère d’Adria.

— La Reine dit que l’homme est retourné chez lui, ajoute Iris. Il n’a pas survécu longtemps. Les pollens de la forêt l’ont rendu malade.

— Je le connaissais, dit Cornélius. Et en effet, il est mort il y a quelques années, emporté par un mal mystérieux. Mais il ne méritait pas ce sort…

— Il a déséquilibré Adria. Et Adria se meurt. Les mortels ne sont pas tolérés.

— Pourquoi m’avez-vous gardé en vie ?

— La Reine dit que le Roi est curieux. Il veut en savoir plus sur les humains. Il les absorbe ensuite.

L’aura noire du Roi paraît plus sombre encore, presque oppressante. Quel sort réservera-t-il à l’explorateur ?

— Que va-t-il m’arriver ?

— Je t’ai dit qu’il n’y avait pas de mort, ici. Adria assimile les humains, ils deviennent siens. Ils font partie de la forêt. L’esprit du froid ne voulait pas te tuer, il voulait t’absorber. Tu serais devenu neige.

Durant tout ce temps, la Reine les observe tous les deux, une main posée sur l’écorce de l’arbre géant. Elle regarde Cornélius d’un air bienveillant, presque implorant, à croire qu’elle espère son pardon.

— Elle dit qu’elle comprend que tu puisses avoir peur, assure Iris. Le Roi protège la forêt, et la Reine veille sur les mortels qu’elle absorbe. Elle comprend les émotions des mortels. Elle comprend que tu aies peur de mourir.

— Je n’ai pas peur de mourir, Iris.

Il se tourne vers la fée aux yeux violets, se faisant la réflexion qu’il se tient devant la plus belle créature vivante que le monde ait jamais connue.

— Je suis un vieil homme, souffle Cornélius. Mon épouse m’a quitté il y a bien longtemps. Je suis venu ici pour explorer cette forêt, et peu m’importait si je devais y mourir. Alors, devenir cette forêt… C’est ce que je veux, oui.

Iris incline sa tête de côté.

— Tu ne saisis pas le sens de mes paroles, poursuit Cornélius. Et tu ne les comprendras jamais, puisque nous ne venons pas du même monde. Ce n’est pas grave. Je serai avec toi pour toujours, maintenant.

La Reine s’approche alors sans bruit et, sur la pointe des pieds, elle appuie son front contre celui du vieil homme. Il accepte le baiser qu’elle dépose sur sa joue, si doux… puis il entend la mélodie des arbres-chanteurs, un chœur mystique, ancien et jeune à la fois. Une splendeur, tant que les larmes lui montent aux yeux.

– Que vais-je devenir ? demande-t-il.

— Tu le découvriras bientôt. Adria t’a déjà accueilli.

Cornélius sent son corps et son esprit se métamorphoser, lentement. Chacune de ses cellules se met en mouvement : son sang se change en sève, et sa peau en écorce. Le froid l’envahit tout à coup. La douleur laisse place à une sorte d’ivresse, et du soulagement.

Il se transforme en arbre. En chêne, peut-être, bien que cela ne revête plus aucune importance.

Iris sourit pour la première fois, et la Reine s’éclipse déjà. Le Roi, quant à lui, lui adresse ses paroles de bienvenue, des mots de sève, d’eau et de bruissement de feuilles, de lumière passant à travers la frondaison.

Cornélius n’a qu’un seul regret : qu’Ysabeth ne soit pas à ses côtés. Qu’elle ne soit pas devenue une fée, elle aussi, pour qu’ensemble, ils poursuivent cette nouvelle mission, celle de protéger Adria et, avec elle, le monde entier.

Tandis que le vieil homme, submergé par l’émotion, ferme ses yeux de mortel pour la dernière fois, il voit la neige au loin, des flocons tomber sur le bosquet. Sur ce lit de blancheur se détachent trois oiseaux noirs.

Des gouttes d’encre sur du papier. Des corneilles, grandes et majestueuses, aux yeux brillants semblables à des obsidiennes. L’une d’elles picore le sol à travers la neige.

Cornélius a la vague certitude que ces oiseaux n’ont rien à faire ici, mais il n’a pas le temps d’y penser. Son esprit se vide, et se remplit du battement de cœur d’Adria.

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