Vaisseau de verre
Les souvenirs d’amertume et de regrets s’échouaient toujours sur la plage. Ramenés par le courant, perdus dans l’écume, ces frêles esquifs étaient rongés par le sel et le poids des années, et leurs couleurs se fanaient sans bruit, sans personne pour les voir.
Verre poli, bois flotté, colliers de coquillages… et parfois des bouteilles jetées à la mer, dont les messages étaient noyés, rendus illisibles par l’eau froide.
Encore un, aujourd’hui. L’encre s’était effacée sur le papier, renvoyant ces mots d’espoir ou de résignation à l’oubli, mais Victoria pouvait les entendre lorsqu’elle s’en empara ; elle écouta leur musique un rien dissonante, et perçut la fêlure, l’émotion trop longtemps contenue entre les parois de cet étrange vaisseau de verre.
Tu chantais de ta voix de fumée, peinte dans ma mémoire :
« Si j’étais un ange, je n’aurais pas d’ailes. »
Qu’elles soient perdues ou arrachées, brûlées par le soleil, je n’en aurais pas voulu non plus et t’aurais suivi jusqu’au bout, jusqu’à chuter du ciel, tomber avec toi, rendus tous les deux à la poussière, laissant derrière nous les échos de nos rires et de nos pleurs.
Pourtant, tu n’es pas là, et c’est seul que je tombe. C’est seul que je chute, avançant d’un pas sur le vide, pour effacer de ma mémoire ton visage regretté.
La main de Victoria tremblait à la lecture de ce douloureux appel. Elle fit alors quelque chose qu’elle n’avait jamais fait auparavant, mue par une intuition peut-être, ou un fol espoir : elle roula le papier – si étrange, blanc ligné de bleu – et le glissa dans le flacon, qu’elle referma aussitôt. Puis elle rendit la bouteille à la mer. Elle pria les vagues de l’emporter, de l’accompagner jusqu’au destinataire de ces mots.